Melody Louledjian : Traviata (Dijon, February 2025) – Reviews : « Melody Louledjian’s accomplishment » – Alain Duault
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« La Traviata à l’Opéra de Dijon, l’accomplissement de Melody Louledjian »
« Melody Louledjian est une soprano lyrique qu’on a souvent entendue ces dix dernières années, toujours avec un plaisir renouvelé – mais avec cette Traviata à l’Opéra de Dijon, elle gravit une marche supplémentaire qui va la faire rayonner au plus haut durant les années qui viennent. Car elle offre là une caractérisation du personnage de Violetta qui va crescendo tout au long du spectacle, jusqu’à arracher des larmes à la fin, donnant à l’expression verdienne du tragique une élégance rare. (…)
Et puis il y a Melody Louledjian dont la pureté lyrique est une signature, une voix qui sait, avec un naturel confondant, transcender les quelques manques de la direction d’acteurs pour s’insérer dans la proposition dramaturgique d’Amélie Niermeyer, y construire son personnage et donner à sa Violetta une intensité rare, qui fait le prix de ce spectacle. Si, au début du premier acte, elle semble avoir un peu de mal à se projeter, en particulier dans le bas medium, elle se ressaisit très vite et impose tout à la fois sa voix et son personnage. Appuyée sur un timbre clair, lumineux, ductile, une ligne raffinée, constamment soutenue, des phrasés déployés avec cette émotion habitée qui touche d’emblée, des aigus puissants et pleins, l’expressivité vocale de Melody Louledjian concourt à dessiner un portrait quasi idéal de Violetta. Mais le dessin théâtral du personnage n’est pas en reste, construit avec une intelligence subtile de ce qu’est cette femme qui, peu à peu, s’enfonce dans la douleur d’elle-même, jusqu’au dénuement, soutenue seulement par cet espoir de retrouver Alfredo, de retrouver cet amour déchiré, avec une progression dramatique qui s’épanouit au dernier acte. Dans sa chambre nue, Violetta se souvient (son Addio del passato arrache des larmes), Violetta se surpasse pour reculer la mort (Morir si giovine), Violetta veut croire encore dès qu’Alfredo est là (Parigi o cara), Violetta se relève, transfigurée (In me rinasce) – et Violetta disparait dans une lumière blanche, éperdue, quittant le monde et laissant le public la gorge sèche et les yeux pluie. Pour Melody Louledjian avant tout, mais pour tout ce spectacle (à quelques réserves près), cette Traviata est à marquer d’une pierre blanche. » Alain Duault, Opera Online
« Déjà connue des mélomanes bourguignons depuis sa participation à Don Pasquale au cours de la saison dernière, Melody Louledjian incarne une Violetta fragile et délicate qu’il conviendrait de réentendre dans une salle mieux dimensionnée à sa voix que l’immense vaisseau de l’auditorium de Dijon. Comparée aux extraits de sa prise de rôle à l’opéra de Tenerife en 2018 (disponibles sur Youtube), la projection de son instrument semble effectivement limitée, surtout dans le premier tableau durant lequel le grand décor tournant du Berghain se révèle une catastrophe acoustique ! Dès l’acte II, la voix de la jeune soprano française reprend de la chair et se colore de nuances subtiles qui lui permettent de traverser le grand duo avec Germont en état de grâce : le médium est charnu, le chant s’avère dramatiquement expressif et les aigus réussissent enfin à passer l’orchestre avec la rondeur attendue. Mais c’est véritablement à partir de la scène de l’humiliation – et plus encore au dernier acte – que Melody Louledjian gagne ses galons de grande Traviata : retrouvant en David Astorga le même Alfredo que celui de ses débuts en Violetta aux Canaries il y a six ans, elle délivre avec son partenaire une immense leçon de chant verdien dans « Addio, del passato » d’abord (quel dommage de la priver du second couplet !) puis dans l’ultime et bouleversant duo « Parigi, o cara ».
Au tournant des deuxième et troisième acte, une minute de grâce absolue rachète tous les défauts et les provocations ratées de la scénographie d’Amélie Niermeyer : rejetée par Alfredo et mise à l’écart des excès de la nuit berlinoise, Violetta se clochardise et en est réduite à vivre d’expédients. À la lumière blafarde d’une sortie de métro, dans l’indifférence générale, elle entonne à l’accordéon les premières notes de « Addio, del passato » ; cette trouvaille dramatique est absolument bouleversante. »Nicolas Le Clerre, Premiere Loge
« Violetta domine tout l’ouvrage, rôle éprouvant, vocalement et physiquement. Commençons donc par saluer la prouesse de Melody Louledjian capable de passer avec brio d’une Violetta traditionnelle (sa prise de rôle, à Tenerife, en 2017) à cette composition, radicale de par les exigences de sa mise en scène. Sans doute a-t-elle mûri le rôle pour donner vie à notre malheureuse héroïne : Affirmée, libre et forte, c’est un tempérament d’exception, aux moyens vocaux et dramatiques idéaux. Elle est l’incarnation de Violetta, vraie, sans surcharge ni cliché. Nul besoin d’accents pathétiques ni de soupirs ou de toux ajoutés. On peut difficilement imaginer une adéquation aussi parfaite, physiquement et vocalement, entre l’artiste et Violetta. La voix est franche, ductile, raffinée et sûre. La palette, riche, du lyrique au dramatique, s’appuie sur un solide medium, des aigus limpides et aisés. Le sfumato, le parlando, les vocalises, la diction parfaite, la ligne soutenue, tout nous ravit, comme si on découvrait l’ouvrage. Pour avoir vu et écouté de très nombreuses Violetta, on peut affirmer que celle-ci est exceptionnelle, d’une présence et d’une assurance manifestes, de l’exaltation superficielle du début à son sacrifice ultime. Il faudrait tout citer, l‘émotion est constante. S’il est un moment que l’on gardera longtemps en mémoire, c’est l’Addio del passato, annoncé singulièrement. Malgré le parti pris de la mise en scène, sa tenue, ses costumes, renouvelés à souhait, avec le retour de la robe blanche qu’elle enfile, aidée d’Alfredo, pour ses derniers instants, c’est un constant ravissement. » Yvan Beuvard, Forumopera
« Dans le rôle-titre, Melody Louledjian (qui retrouve Amélie Niermeyer et Dijon après Don Pasquale en 2022) s’affirme par son aisance scénique (jouant même de l’accordéon), apportant dans cet univers l’alternance de joies et de peines, la liberté et la descente inexorable. Son chant se distingue par un timbre pointu et brillant, avec une belle puissance dans les aigus. » Juan Barrios, Olyrix
« C’est une Traviata de grande classe qui est aujourd’hui présentée à l’Opéra de Dijon, avec une soprano, Melody Louledjian, qui incarne au plus juste l’héroïne de Verdi. »
« On pourra arguer que le final ferait sangloter une pierre mais il faut saluer ici l’engagement total de Melody Louledjian. Ayant l’âge et la beauté féline du personnage, la soprano française nous offre une Traviata de grande classe, même si elle est plus convaincante dans la tragédie que la luxure. Sa jolie voix peine parfois (ou s’ économise ?) dans les ensembles, mais donne sa pleine mesure lors des airs, duos et trios des parties campagnardes. Et c’est une superbe idée de mise en scène que de lui faire jouer, à l’accordéon, les premières mesures de l’air « addio, del passato » qu’elle doit chanter peu après. Aux saluts, elle a reçu une ovation méritée, devant un public essentiellement composé d’étudiants enthousiastes et attentifs. » Nicolas d’Estienne d’Orves, Transfuge
« Mélody des grands soirs »
« Ainsi, s’il peut être surpris face à tant de mœurs dissolues, le spectateur ne peut pas indéfiniment garder le cuir épais face à une Violetta qui finit par le saisir droit au cœur, ici portée par une Mélody Louledjian des grands soirs. Oui, c’est une vraie femme aux attitudes frivoles, puis aux élans amoureux sincères, que le public découvre en face de lui. Une séductrice invétérée, d’abord joviale et légère, puis peu à peu plus grave et tourmentée, autant d’attitudes et d’états d’âme ici incarnés avec un naturel confondant par une tragédienne aussi assurée qu’habitée. Mais la chanteuse est tout aussi convaincante et envoûtante, avec sa voix pleine et large, son timbre corsé, ses aigus flamboyants, et surtout ce legato lui offrant de tisser des phrases dont la tenue soyeuse est une poésie du son à elle toute seule. À l’heure de l’expiration finale, l’Addio del passato est un air qui semble naître là, sur scène, comme l’ultime complainte spontanée et déchirante d’une galante agonisante alors qu’elle n’a jamais été aussi aimante. Pierre Géraudie